11 juillet
Maman a changé les règles pour que je puisse manger le lundi. D'après elle, il n'est pas juste qu'en jeûnant le dimanche, je doive attendre jusqu'au lundi soir pour manger. Évidemment, elle-même se prive jusqu'au lundi soir, mais nous ne sommes pas censés le remarquer.
Jeûner n'est pas aussi terrible que ce que je craignais. J'ai eu vraiment faim vers midi, mais ça s'est atténué dans la journée. Je devrais m'y faire.
C'est difficile d'en être sûre, mais j'ai l'impression que le ciel devient de plus en plus gris.
Peter est passé dans l'après-midi. Nous lui avons exposé nos plans et il les a jugés excellents. Il a notamment approuvé l'idée de faire bouillir l'eau.
Je lui ai demandé pour la baignade.
— Ce serait sans doute mieux si tu arrêtais, a-t-il conseillé. Les gens trouvent que l'eau du robinet a jauni et ils s'inquiètent de savoir jusqu'à quand il y en aura. Tout cela nécessite de l'électricité, et nous savons que les centrales sont très sollicitées ces temps-ci.
— Mais quel rapport avec l'étang ?
— Il est difficile de prévoir comment les gens vont réagir s'ils n'ont plus l'eau courante. Ils pourraient bien aller à l'étang pour laver leur linge ou faire leur toilette. Celui-ci deviendrait alors un véritable bouillon de culture. De nos jours, mieux vaut prévenir que guérir.
Au moins il ne nous a pas pris la tête avec les symptômes du choléra. De la part de Peter, c'est étonnant.
Je crois que j'irai quand même nager demain. Peut-être que Dan se montrera. Peut-être que le soleil brillera.
12 juillet
Ni Dan, ni soleil, ni électricité. Aucun signe de Jonny ni de papa.
13 juillet
Matt ne court plus. Il m'a fallu cinq jours pour m'en rendre compte. J'ai fini par lui demander pourquoi. Il m'a dit qu'il avait arrêté samedi, en partie parce qu'il s'inquiète de la qualité de l'air, en partie pour ménager ses forces.
Les journées paraissent beaucoup plus courtes qu'il y a seulement une semaine. En tout cas il fait nuit plus tôt. Le soir, dans la véranda, maman nous laisse utiliser une des lampes à huile, mais comme la flamme n'est pas assez forte pour nous permettre à tous de lire, Matt et moi nous asseyons à tour de rôle à côté. Maman crochète (elle a trouvé une vieille pelote de coton dans le grenier), si bien qu'elle n'a pas besoin d'y voir clair.
J'écris à la lumière de la lampe torche. Je sais que je vais devoir arrêter. Les piles ne sont pas éternelles.
14 juillet
J'ai fait un truc vraiment stupide aujourd'hui. Je me tuerais tellement je suis désespérée et en colère contre moi-même.
Nous étions assis tous ensemble pour notre veillée des chaumières, à présent traditionnelle, quand maman a annoncé, vers 21 heures, que nous avions utilisé assez d'huile pour la nuit et que nous devions aller nous coucher.
Nous vivons au rythme du lever et du coucher du soleil depuis un moment maintenant, mais avec cette horrible toile grise tendue dans le ciel, nous sommes complètement déréglés. On peut dire si le soleil est levé ou pas, mais la différence ne saute pas aux yeux. Il fait gris à 6 heures du matin comme à 6 heures du soir.
Et je ne sais pourquoi, je ne me suis pas sentie d'aller au lit. Sans doute en raison des cauchemars que j'ai faits ces deux derniers jours, avec Becky qui me poussait dans un volcan, et tout ça.
J'ai dit que j'allais m'asseoir sur la balançoire avant d'aller au lit, et comme c'est une activité qui ne consomme pas d'énergie, maman n'avait rien à objecter. Donc je m'y suis installée et je suis restée là un bon moment, peut-être une demi-heure. Maman et Matt étaient déjà dans leur chambre.
Sauf que lorsque je me suis décidée à rentrer, je n'ai pas fait attention à Horton. Il sort dans la journée, mais on ne doit jamais le laisser dehors après le coucher du soleil. Même quand l'électricité fonctionnait bien, c'était la règle. Horton passe la nuit à l'intérieur.
J'imagine que comme nous, Horton ne sait plus très bien distinguer le jour de la nuit. Il a filé dès que j'ai ouvert la porte.
Je suis ressortie pour l'appeler, mais il a fait la sourde oreille. J'ai continué pendant une heure, près du portique, en espérant qu'il allait rentrer, mais en vain.
Je ferais mieux de ne pas gaspiller la pile de ma lampe. J'espère seulement que demain matin je le trouverai à la porte, en train de miauler de dépit parce qu'il a passé toute la nuit dehors.
15 juillet
Pas d'Horton.
J'ai alterné entre ramasser du petit bois et partir à sa recherche. Maman et Matt ont cherché aussi, en vain.
D'après maman, je ne devrais pas me sentir si mal, parce que ç'aurait pu arriver à n'importe lequel d'entre nous, mais je sais que c'est ma faute. Je suis tellement étourdie. Je me suis toujours mise dans des situations invraisemblables à cause de ça, mais la plupart du temps j'étais la seule à en subir les conséquences.
Je ne sais pas ce que Jonny va faire s'il rentre et qu'Horton n'est plus là.
16 juillet
Toujours aucun signe d'Horton.
Dispute atroce entre maman et moi.
— Nous n'avons aucune nouvelle de Jonny depuis deux semaines ! Et toi, la seule chose qui te préoccupe, c'est ce maudit chat !
— Jonny va bien ! lui ai-je hurlé en retour. Jonny mange trois repas par jour. Tu as attendu qu'il soit parti pour nous mettre à la diète. Tu crois que je n'avais rien remarqué ?
Tu t'imagines que je ne sais pas sur lequel de nous trois tu as misé ?
Je n'arrive toujours pas à croire que j'ai dit ça. L'idée m'avait effleurée, mais je ne l'avais même pas formulée par écrit tellement elle paraît horrible. Et si maman pensait vraiment qu'un seul de nous quatre pouvait s'en sortir ? Je sais qu'elle ne se désignerait jamais elle-même.
Mais s'il lui fallait vraiment choisir entre Matt, Jonny et moi ? Allons-nous en venir à ce qu'elle demande à deux d'entre nous d'offrir leur ration de nourriture au troisième ?
Ce que je sais, c'est que si on en arrivait là, Matt n'accepterait jamais les rations des autres. Et maman doit bien s'en douter aussi. Et quand j'y pense — et je m'efforce de ne pas y penser —, je crains que maman juge mes chances de m'en sortir quasi nulles. Une femme n'a aucune chance de s'en sortir.
Jonny est donc le favori.
J'ai horreur de penser ainsi. Je me déteste d'être tellement furieuse du départ d'Horton que je m'en suis prise à maman. Je me déteste d'être si égoïste qu'il ne m'est même pas venu à l'esprit que maman puisse s'inquiéter d'être sans nouvelles de Jonny.
Je ne m'inquiète plus d'être sans nouvelles de papa. Je me contente de rêver d'un mois loin d'ici, loin de maman. Un mois à Springfield, où, Dieu sait pourquoi, je m'imagine que le soleil brillera comme avant, l'électricité fonctionnera vingt-quatre heures sur vingt-quatre et je n'aurai pas faim.
Trois jours ont passé et Horton n'est pas revenu.
Même Mrs Nesbitt s'est mise à chercher, car il vient parfois errer vers chez elle. Elle pense l'avoir aperçu hier, mais elle n'en est pas sûre, et d'après Matt elle aurait mieux fait de ne rien dire. « Les gens voient ce qu'ils ont envie de voir », a-t-il conclu.
Maman et moi ne nous sommes plus adressé la parole depuis notre horrible dispute d'hier, ce qui rend le dîner encore plus joyeux. Après avoir mangé, je pars à la recherche d'Horton jusqu'à ce qu'il fasse trop sombre pour distinguer quoi que ce soit, notamment un chat gris tigré. Puis je m'assieds sur la balançoire et je supplie tout bas Horton de rentrer.
C'est là que Matt m'a rejointe.
— Il pourrait bien se montrer ce soir, a-t-il remarqué. Mais nous devrions commencer à envisager qu'il ne revienne pas.
— Il va rentrer, ai-je décrété. A mon avis, il est parti à la recherche de Jonny. Quand il aura faim, il reviendra. Ça m'étonnerait beaucoup que quelqu'un d'autre lui donne à manger.
Même dans la sinistre demi-pénombre, j'ai pu distinguer l'expression de Matt. J'ai appris à la reconnaître si bien ces derniers temps. Son air de comment-vais-je-pouvoir-lui-annoncer-ça.
— Tu sais que nous sommes plutôt bien portants. Comparés à beaucoup d'autres, ça va pas mal pour nous.
C'est comme ça qu'il fait. Il s'approche l'air de rien. Tourne autour du pot avant de se lancer. Il souligne combien notre vie est fabuleuse avant d'enfoncer le couteau dans la plaie.
— Vas-y. Crache le morceau.
— Il est possible qu'on ait tué Horton. Pour le manger.
J'ai cru que j'allais vomir. J'ignore pourquoi cette idée ne m'avait même pas effleurée. Sans doute parce qu'il y a seulement deux mois, je vivais dans un monde où les animaux domestiques n'étaient pas des proies comestibles.
— Écoute, a repris Matt. Nous avons tous laissé sortir Horton. Si quelqu'un avait voulu l'attraper pour une raison ou pour une autre, il en aurait eu mille fois l'occasion. Tu n'as rien fait de plus que de le laisser filer la nuit. Ce n'est pas ta faute. Ce n'est la faute de personne.
Mais c'est moi la responsable, et il le sait, et maman le sait, et Jonny le saura, et mieux que tout je le sais. Si Horton est mort, si on l'a tué, c'est à cause de moi.
Je ne mérite vraiment pas de vivre. Non pas à cause d'Horton, mais vu le peu qu'il reste à manger, je n'ai rien fait pour le mériter. Ramasser du petit bois ? C'est ça, ma contribution ?
Je hais les dimanches. Tout est pire le dimanche.
18 juillet
Lundi.
J'ai passé la journée dehors à chercher Horton et à ramasser du petit bois.
Cet après-midi, je me suis endormie contre un arbre, comme frappée par le sommeil. Les moustiques ont dû adorer. J'ai une demi-douzaine de piqûres qui n'étaient pas là ce matin.
Je suis rentrée vers 16 heures et maman m'attendait dans la cuisine.
— Tu as mangé aujourd'hui ? m'a-t-elle demandé. Je ne t'ai pas entendue rentrer ni manger.
— J'ai sauté le brunch. J'ai oublié.
— On n'oublie pas un repas. Hier tu as jeûné. Aujourd'hui tu manges. Ce sont les règles.
— Tu as l'air d'aimer ça, inventer des règles.
— Tu le crois vraiment ? a hurlé maman. Tu crois que j'aime voir mes enfants crever de faim ? Tu crois que j'y trouve du plaisir ?
Bien sûr que non. Et j'aurais dû demander pardon tout de suite, prendre maman dans mes bras et lui dire à quel point je l'aime, à quel point elle est courageuse et combien je voudrais lui ressembler.
Au lieu de quoi, j'ai filé dans ma chambre en claquant la porte. Comme si j'avais de nouveau douze ans. Il est bientôt l'heure de dîner et je sais que si je ne me montre pas, Matt va venir me chercher. Même s'il n'use pas (encore) de la force, il me fait sortir de mon trou en me culpabilisant.
Le plus drôle, c'est que je pourrais aussi bien me passer de manger. Il se trouve que si l'on ne se nourrit pas pendant un certain temps, l'idée même d'avaler un truc vous donne la nausée. C'est sans doute ce que Megan a dû constater. Sauf qu'elle croit qu'avoir faim est une bonne chose et que moi je crois que c'est des conneries.
Le dîner promet d'être joyeux.
19 juillet
Pas d'Horton.
Aucune nouvelle de Jonny.
Maman et moi ne nous parlons plus.
Matt ne parle plus beaucoup non plus.
20 juillet
C'est aujourd'hui l'anniversaire des premiers pas de l'homme sur la Lune. Je le sais depuis tous ces fameux devoirs sur le sujet.
La Lune, je la hais. Je hais les marées, les tremblements de terre et les volcans. Je hais ce monde où des choses qui n'ont rien à voir avec moi peuvent détruire ma vie et celle des gens que j'aime.
Je regrette seulement que les astronautes n'aient pas fait exploser cette saleté de Lune tant qu'ils en avaient encore la possibilité.
21 juillet
J'ai accumulé assez de petit bois pour construire un chalet, mais Matt n'arrête pas de me dire que c'est insuffisant et que je dois continuer. Comme il m'est difficile de prétexter un emploi du temps surchargé, je ramasse donc, encore et toujours.
Dans une semaine je serai en route pour Springfield. Je sais, je suis intimement convaincue que là-bas tout sera mieux, et que lorsque je rentrerai à la maison ce cauchemar sera terminé.
Je finissais ma corvée quand maman est venue me chercher.
— Rentre. Sammi est là.
C'est la première fois depuis des jours que maman m'en dit autant. Je me suis étonnée qu'une visite de mon amie la rende aussi loquace. Celle-ci a dû arriver avec une boîte d'épinards.
D'ailleurs, Sammi avait l'air en pleine forme. Elle a toujours été obsédée par son poids, mais elle n'avait pas l'air d'avoir beaucoup maigri depuis la dernière fois que je l'avais vue, en juin.
Nous nous sommes installées sur la balançoire, le regard perdu dans le vague.
— Je suis venue te dire au revoir, a-t-elle déclaré. Je prends la route demain matin.
— Où vas-tu ?
Je me rappelais le linge étendu devant chez elle. Sammi a un petit frère d'un an plus jeune que Jonny mais elle le déteste. Elle se dispute aussi tout le temps avec ses parents. Pour rien au monde je n'aurais voulu me retrouver dans cette voiture...
— J'ai rencontré un type, a continué Sammi.
J'ai éclaté de rire pour la première fois depuis une semaine. Je ne sais pas ce qui m'a paru si drôle, à part le fait de ne pas y avoir pensé alors que c'était tellement évident.
— Miranda !
— Désolée, ai-je dit en ravalant quelques gloussements. Tu as rencontré un type.
— C'est avec lui que je pars. Il paraît que la situation est plus vivable dans le Sud. C'est ce que disent beaucoup de gens. Nous partons pour Nashville, et si ça ne marche pas nous essaierons Dallas.
— Tes parents le savent ?
Sammi a hoché la tête.
— Ils sont d'accord. Il nous donne à manger donc ils le trouvent super. Et il l'est. Il a quarante ans et il connaît beaucoup de gens. Ça fait deux semaines qu'il nous apporte des provisions et il a même eu de l'essence pour la voiture de papa, et plein de bouteilles d'eau. Les parents seraient trop contents s'il restait, mais ça fait un bout de temps qu'il veut bouger. Il dit qu'il attendait que je sois prête.
— Tu le connais depuis quand ? Tu n'en as jamais parlé quand on était au lycée.
— Je l'ai rencontré il y a trois semaines environ. Le coup de foudre. Du moins de son côté, ce qui est une bonne chose. Il pourrait avoir toutes les filles qu'il veut. J'ai de la chance qu'il m'ait choisie, moi.
— Tu n'as pas l'air si heureuse que ça.
— Je ne le suis pas, c'est vrai. Ne fais pas l'innocente, Miranda. J'aimais les garçons plus âgés, mais pas à ce point. Vingt et un, vingt-deux ans, c'était ma limite. Tout a commencé après cette histoire avec la Lune un soir que j'étais saoule. Il a donné à mes vieux plein de boîtes de conserve et de l'essence. Maman pense que si les choses vont vraiment mieux à Nashville, c'est bien que j'aille tenter le coup. D'après elle, la meilleure chose qu'un parent puisse faire pour son enfant maintenant, c'est de l'envoyer quelque part où il aura sa chance. Sauf que j'ai besoin d'être protégée, et c'est pour ça que je pars avec lui.
— Il a un nom ?
— George, a marmonné Sammi - et nous avons toutes les deux explosé de rire. D'accord, je n'aurais jamais cru que je finirais avec un gars de quarante balais, qui s'appelle George. Et peut-être que ça ne va pas coller, nous deux. Peut-être qu'une fois à Nashville je me trouverai un mec mignon de vingt-deux ans qui pourra me nourrir et je larguerai George. À moins que ce ne soit lui qui me largue. Il ne serait pas le premier. Quoi qu'il en soit, je serai loin d'ici, et c'est ce que j'ai toujours voulu.
— Je suis passée te voir. Il y a une semaine ou deux. Je n'ai trouvé personne.
— Je voulais te voir moi aussi, mais George me prend beaucoup de temps. En chemin je me suis arrêtée chez Megan. On dirait qu'elle a les boules d'être toujours vivante.
— J'espère que tu reviendras un jour. J'espère qu'on aura l'occasion de se revoir.
— Après la mort de Becky, tu étais la seule fille un peu cool dans cet endroit pourri. Tu sais, quand elle est morte, je me suis rendu compte que la vie était courte et qu'il fallait profiter à fond du peu de temps qu'il nous restait. Bien sûr, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi bref, et je n'ai pas pensé que la meilleure solution viendrait d'un gars comme George. Mais c'est comme ça. N'importe comment, tu vas vraiment me manquer, et je voulais te dire au revoir.
Elle s'est levée et m'a serrée dans ses bras. Elle ne m'a pas demandé une seule fois si je m'en sortais ni si maman, Matt et Jonny allaient bien. Elle est arrivée, m'a donné de ses nouvelles, puis elle est partie.
Je ne la reverrai plus jamais, je le sais. Je la hais de tout quitter et j'ai mal pour elle de la voir s'en aller de cette façon, et pour une fois ma crampe à l'estomac n'était pas due à la faim. Du moins, pas seulement.
22 juillet
La meilleure journée depuis une éternité.
Pour commencer, j'ai trouvé Horton devant la porte de la cuisine. Il grattait, miaulait et réclamait pour qu'on le laisse entrer.
Nous l'avons tous entendu. C'était juste après le lever du soleil, ou ce qui en tient lieu ces jours-ci, et chacun s'est rué hors de sa chambre pour descendre lui ouvrir. Matt est arrivé le premier, mais j'étais sur ses talons, et maman à moins de cinquante centimètres derrière.
Matt a ouvert la porte et Horton est entré d'un pas nonchalant, comme si de rien n'était. Il s'est frotté la tête contre nos chevilles avant de se diriger vers sa gamelle. Par bonheur, elle contenait quelques restes desséchés, qu'il a avalés en deux coups de langue.
Maman a ouvert une boîte de nourriture pour chat et lui a donné de l'eau fraîche. Nous l'avons tous regardé manger. Puis, comme c'est un chat et que les chats adorent faire tourner les gens en bourrique, il a utilisé sa litière.
— Il n'aurait pas pu faire ça dehors ? s'est indignée maman.
Nous avons tous ri. Je crois qu'Horton riait avec nous.
Il s'est couché en boule sur le lit de Jonny et a dormi six heures d'affilée. Lorsque je suis revenue de ma corvée de petit bois, il y était encore. Je l'ai caressé, lui ai gratté les oreilles et lui ai chuchoté combien je l'aimais. Il a dû comprendre mes paroles parce qu'il s'est mis à ronronner.
Puis maman est revenue de la poste où l'attendaient cinq lettres de Jonny. La dernière datait de lundi. Il va bien, le camp est super, il mange, joue au base-ball et tout est génial, etc. Je crois que chaque lettre ne fait pas plus d'un paragraphe et qu'elles disent toutes à peu près la même chose, mais quelle importance. On avait des nouvelles de Jonny. Maman pouvait de nouveau respirer.
On a décidé de fêter ça au dîner. Maman a déclaré que c'était la Journée nationale des Bonnes Nouvelles. Elle est allée chercher Mrs Nesbitt et on s'est régalés. Maman a réchauffé une boîte de poulet et l'a servie avec des nouilles et de la macédoine de légumes. On a même eu droit à un dessert : des pêches au sirop. Mrs Nesbitt a fait don d'une bouteille de jus de pomme.
Comme il fait de plus en plus frais, après le dîner nous nous sommes installés dans la véranda et avons préparé un feu dans le poêle à bois. Pas un grand feu qui crépite, mais un assez fourni pour chasser le froid. En plus de la lampe à huile et de la lueur du poêle, maman a allumé deux bougies pour éclairer la pièce.
Nous avons passé la soirée à siroter notre jus de pomme (je crois que maman essayait de s'imaginer que c'était du vin) et à nous raconter des histoires. Mrs Nesbitt nous a expliqué comment ça se passait du temps de la Grande Dépression puis de la Seconde Guerre mondiale, ce qui était différent d'aujourd'hui et ce qui était pareil. Pendant la guerre, Mr Nesbitt était dans un sous-marin, et elle nous a raconté tout ce qu'il lui avait transmis sur sa vie d'alors.
Horton était assis sur moi. Il est passé des genoux de l'un aux genoux de l'autre avant de finir par s'installer sur ceux de Matt. Pour Horton, Matt doit être la personne qui ressemble le plus à Jonny.
Je me sens tellement mieux. Après une journée pareille, j'ai l'impression que nous allons nous en sortir, que si nous nous aimons assez et travaillons dur, nous survivrons quoi qu'il arrive.
J'ai rêvé que Becky travaillait dans une confiserie. Quand je l'ai vue, elle m'a dit d'entrer et de prendre autant de bonbons que je voulais. Il y avait des casiers remplis de chocolats de toutes sortes, et après la plus merveilleuse et la plus déchirante des hésitations, j'ai demandé un rocher chocolat-caramel. J'en ai même mangé une ou deux bouchées avant de me réveiller, et je jure que j'avais un goût de chocolat dans la bouche jusqu'à ce que je réalise que c'était un rêve.
Comme je n'entendais personne remuer, je suis restée au lit à fantasmer sur le chocolat. Je pensais à un cake au chocolat, à des biscuits fourrés, à de la glace au chocolat avec des copeaux dessus, à des sundaes recouverts de caramel chaud et à un chocolat bouillant. Une forêt-noire. Du chocolat au lait. Des milk-shakes au chocolat. De la glace à la vanille dans un cône nappé de chocolat.
Maintenant, le chocolat, je n'en trouve plus que dans mes rêves.
27 juillet
— On pourrait prendre un moment pour discuter ? m'a demandé maman.
Ce qui ne laissait présager rien de bon.
Nos relations avaient été excellentes durant toute la semaine, et je ne voyais vraiment pas quel truc atroce je pouvais avoir fait sans m'en rendre compte. Donc il devait seulement s'agir d'un rebondissement dans la fin du monde.
Nous nous sommes assises dans la véranda, que l'on aurait maintenant pu rebaptiser la « chambre grise ».
— Gros changement de programme, a annoncé maman. J'ai reçu une lettre de ton père, et cela te concerne aussi.
— Il va bien ? C'est mamie ?
— Ton père va bien. Et Lisa aussi. Il ne sait rien au sujet de mamie ; il n'a pas eu de nouvelles d'elle depuis un moment. Miranda, je sais combien tu te réjouissais de passer un mois à Springfield, mais ça ne se fera pas cette année.
— Pourquoi ? ai-je demandé du ton le plus adulte possible, alors que je voulais hurler, mordre et piquer ma crise.
Maman a poussé un soupir.
— Tu connais la situation. De toute façon, Lisa est prête à tout pour voir ses parents et être avec eux au moment de l'accouchement. Et ton père se fait du souci pour mamie. Ils ont donc prévu de quitter Springfield, d'aller chercher Jonny au camp et de passer deux ou trois jours avec nous avant de filer. Tu pourras voir ton père, mais pas longtemps. Ma chérie, je suis vraiment désolée.
Je sais quelle l'est. Je sais qu'elle m'aime et quelle a tout fait pour s'assurer que Matt, Jonny et moi puissions voir papa et restions proches de lui.
Mais je sais aussi que si Jonny et moi avions passé le mois d'août à Springfield, cela aurait permis de faire durer nos provisions beaucoup plus longtemps : l'équivalent de soixante dîners, sans parler des petits déjeuners et des déjeuners. Parfois je me demande si lorsque maman me regarde, elle ne me confond pas avec une conserve de carottes.
Bien sûr, c'était de la folie de penser à Springfield comme à une sorte de paradis perdu. Là-bas, les conditions de vie doivent être à peu près les mêmes qu'ici. Papa a bien une idée de ce qui se passe chez nous, et si c'était l'abondance à Springfield, au minimum il dirait à Matt, à Jonny et à moi de venir vivre avec lui. Lisa n'apprécierait sans doute pas, mais je parie qu'il proposerait à maman de se joindre à nous.
Je comprends combien Lisa doit être paniquée — attendre un enfant dans un monde qui tourne au chaos. Moi aussi je voudrais être auprès de ma mère si j'étais enceinte.
Évidemment, si j'étais enceinte, maman me tuerait.
En parlant de ça, je n'ai plus vu Dan depuis des semaines, depuis que je ne vais plus me baigner à l'étang de Miller. Je sais bien qu'on ne peut pas s'appeler puisque les lignes téléphoniques ne fonctionnent plus du tout, et que faire une visite à l'improviste est délicat, mais il sait où j'habite, et je ne vois pas pourquoi il aurait décidé de m'ignorer. Même Peter fait une apparition de temps à autre, parfois juste pour nous révéler une douzaine de nouvelles causes de décès.
Je me demande où se trouve Sammi en ce moment, et comment papa et Lisa ont prévu de trouver de l'essence en chemin. Peut-être que la situation est réellement meilleure dans le Sud ou l'Ouest. Peut-être que nous devrions partir, nous aussi. Je ne vois pas quel intérêt il y aurait à rester ici.
Ce soir, après sa journée de travail, Matt nous a montré ses biceps. Il était tout triste. Ses biceps étaient impressionnants, mais il est si maigre maintenant. On dirait que toute sa tonicité musculaire est concentrée dans le haut de ses bras. Il a dit que ses jambes ont elles aussi profité de son activité de bûcheron, et mis à part la faim, il ne s'est jamais senti aussi fort de sa vie.
Je suis contente que l'un de nous se sente d'attaque, parce que c'est loin d'être mon cas.
Peut-être que papa va nous rapporter à manger de Springfield.
C'est ça, et peut-être que le père Noël existe vraiment, aussi.
29 juillet
Jonny, papa et Lisa sont censés arriver demain. Maman a expliqué qu'elle avait écrit au camp de Jonny pour informer la direction que papa viendrait le chercher. Elle espère qu'au moins ils ont reçu la lettre.
La vie était plus simple quand on pouvait compter sur le téléphone.
Ce soir, au dîner, maman a dit qu'elle ne savait pas combien de temps papa et Lisa resteraient ici, peut-être une semaine, peut-être moins.
— Je ne veux pas qu'il fasse tout ce chemin jusqu'à Las Vegas en s'inquiétant pour nous, a-t-elle ajouté. Donc, tant que lui et Lisa sont ici, nous ferons trois repas par jour.
— Maman, a objecté Matt, est-ce réaliste ?
— On se débrouillera. On s'est bien débrouillés jusque-là.
Je suis trop contente à l'idée de prendre trois repas par jour. Même si le mot « repas » n'a plus la même signification qu'avant, ça me rend toute fébrile. Je me suis habituée à la faim, et ce n'est vraiment pas si terrible, mais manger m’apparaît comme un luxe fabuleux.
J'ai une arrière-pensée : maman ne change-t-elle pas les règles pour son petit Jonny ? Quand il est parti, nous étions encore à trois repas par jour (à l'exception de maman), du moins officiellement.
Parfois, la nuit, quand je n'arrive pas à trouver le sommeil, je pense à l'avenir (ce qui m'empêche encore plus de dormir, mais je le fais quand même). Pas le futur proche, qui est trop moche, mais le futur dans six mois ou un an — si nous sommes encore en vie.
Maman aussi doit tenter d'imaginer l'avenir. Elle pense peut-être que nous nous en sortirions mieux si Matt partait, comme beaucoup de jeunes, ou si je trouvais un type pour me prendre sous son aile, comme Sammi. À ce moment-là, toutes ses provisions iraient à Jonny le temps qu'il soit assez grand pour se débrouiller tout seul. Je sais que maman nous aime trop, Matt et moi, pour nous sacrifier. Mais c'est maintenant que Jonny a besoin de manger pour sa croissance.
Ce qui représente un vrai problème pour maman. Voilà pourquoi je pense qu'elle a décidé de ne pas trancher avant que papa et Lisa soient repartis.
30 juillet
Jonny, Lisa et papa sont là.
Ils sont arrivés dans la soirée, et depuis, c'est le bonheur.
Jonny est en pleine forme. Il dit qu'on les a bien nourris, même s'ils ont dû travailler dur à la ferme au détriment des heures de base-ball.
Papa a perdu quelques kilos, mais il a toujours été mince et on ne peut pas dire qu'il soit maigre. Juste plus mince. Par contre, il fait nettement plus vieux que la dernière fois que je l'ai vu, en avril. Ses cheveux sont tout gris et son visage plus marqué.
Lisa a l'air d'aller bien. On devine qu'elle est enceinte, mais elle n'a pas encore un gros ventre. Elle a toujours son visage rond et son joli teint. A mon avis, papa veille à ce qu'elle mange correctement, même si cela implique qu'il se prive.
Je voyais bien que papa nous examinait lui aussi. Je regrette de ne pas être plus grosse (je n'aurais jamais cru pouvoir dire ça un jour), parce que ç'avait l'air de le contrarier. Et il a assez de soucis comme ça. J'imagine qu'en voyant Jonny qui n'a guère changé, il espérait que ce serait le cas pour maman, Matt et moi.
Loin de montrer son inquiétude, papa n'arrêtait pas de dire que nous avions tous bonne mine, qu'il était content de nous voir et que ç'avait été tellement chouette de faire ce trajet en voiture avec Jonny, de l'écouter parler du stage de base-ball et tout et tout.
Mais même si c'était merveilleux de constater que papa allait vraiment bien, parce qu'on ne peut pas s'empêcher de s'angoisser quand on n'a pas vu quelqu'un depuis longtemps, le plus fou, c'était tout ce qu'il nous avait apporté.
Le minivan qu'ils avaient emprunté pour venir était plein à craquer. Papa avait étiqueté tous les cartons et il nous en a laissé au moins la moitié. Décharger la camionnette (qu'il avait cachée dans le garage — maintenant on ne laisse plus rien dehors) nous a pris dix à quinze minutes, et ce rien que pour nos cartons.
C'était Noël. Il y avait des cageots entiers de conserves : de la soupe de nouilles au poulet, des légumes, des fruits et du poisson. En fait, j'ai perdu le compte de toutes ces caisses, mais il devait y en avoir une trentaine, et chacune contenait deux douzaines de conserves. Des boîtes de pâtes, de lait en poudre et de purée de pommes de terre. Des bocaux de sauce bolognaise et de compote de pommes. Des cartons de bouteilles d'eau et une demi-douzaine de flacons d'eau distillée.
— D'où tu tiens tout ça ? a demandé Matt.
Maman pleurait trop pour pouvoir parler.
— De la fac, a expliqué papa. Elle restera fermée l'automne prochain, et les cuisines de la résidence universitaire avaient encore toutes ces provisions. Beaucoup de caisses avaient déjà disparu, si bien que ceux qui étaient encore là se sont partagé le reste. J'en garde beaucoup pour nous, pour la route, mais aussi pour les parents de Lisa et pour maman au cas où ils en auraient besoin.
Et ce n'est pas tout, même si ça faisait déjà beaucoup. Ils nous ont donné quatre couvertures, des piles et des allumettes, des draps, des serviettes et des brosses à dents. Du savon parfumé pour moi. De l'essence. Du produit à moustiques et de l'écran total (ce qui nous a tous fait rire). Des joggings, bien sûr trop larges mais quand même portables. Et deux scies à chaîne et une scie à cadre.
— Je me suis dit que puisque j'étais là, autant donner un coup de main pour couper du bois, a ajouté papa.
Oh, et une lampe à piles, qui de l'avis de tous donnait à la véranda une lumière chaude et vive.
Maman a réussi à se calmer suffisamment pour aller chercher dans sa chambre les affaires pour le bébé de Lisa. Toutes ces fringues bon marché qu'elle avait été tellement fière de trouver.
Et là, incroyable mais vrai : Lisa a fondu en larmes quand elle a vu ce que maman avait acheté. Elle nous a serrées dans ses bras, maman et moi, en nous remerciant d'avoir pensé à elle et au bébé. Papa s'est mis à pleurer, lui aussi, et le seul truc qui m'ait empêché d'en faire autant, c'était de penser à l'étrangeté de la scène, et Jonny qui levait les yeux au ciel, et Matt qui avait l'air si mal à l'aise, ce qui me donnait envie de rire.
Lisa a exhibé chaque centimètre de tissu, et nous avons poussé des « oooooh » et des « aaaaaah »... Ce qui n'a pas empêché Matt et Jonny de manquer quelques cris d'admiration pour s'intéresser de plus près à quelques conserves.
Je dois reconnaître que ces petites salopettes étaient vraiment mignonnes.
Nous sommes restés là jusqu'à 22 heures, puis maman, qui dort dans la véranda pendant que papa et Lisa occupent sa chambre, nous a poussés dehors.
Si je veille si tard, c'est grâce à toutes ces piles que j'ai reçues. Ne pas être raisonnable, c'est tellement bon ! Je sais que ça ne va pas durer, que même ces montagnes de nourriture que papa nous a apportées vont bientôt disparaître.
Mais pour ce soir au moins, je peux faire semblant.
31 juillet
D'après papa, il nous faudra bien plus de bois que prévu. Il se propose d'en couper encore, en disant que c'est la moindre des choses qu'il puisse faire pour nous tant qu'il est ici. Il nous a conseillé aussi de ne pas l'entreposer dehors, même juste à côté de la maison. « Il se volatiliserait d'ici octobre, a-t-il expliqué. Il faut tout le temps se méfier, maintenant. »
Après réflexion, maman a décidé que la meilleure place pour stocker les bûches serait la salle à manger, puisque nous n'y mangeons plus (nous ne mangeons guère ailleurs non plus).
Donc, après le petit déjeuner commun, nous avons transporté les meubles de la salle à manger dans le salon. Nous devions d'abord nous occuper des bibelots fragiles, mais ce n'était pas évident car nous n'avions pas de journaux pour les envelopper, vu qu'il n'y a plus de journaux. Malgré cela, il n'y a pas eu de casse. Ensuite, les meubles : les étagères, le buffet, la table et les chaises. Même Lisa s'est mise à porter des chaises, pendant que papa la surveillait comme si elle-même était une petite chose fragile.
— Le salon a l'air d'une brocante, a dit Jonny.
— Un magasin d'antiquités, a corrigé maman.
Quoi qu'il en soit, cette pièce est devenue quasiment impraticable, mais de toute façon nous y passions peu de temps.
Une fois les meubles enlevés, papa et Matt sont partis abattre des arbres.
Jonny et moi avons charrié dans le salon les bûches déjà coupées. Matt avait couvert le parquet de draps pour le protéger. Ensuite Jonny est allé rejoindre papa et Matt, et moi j'ai recommencé à ramasser du petit bois. Je crois bien avoir empiété sur la propriété de Mrs Nesbitt, mais je sais que ça ne la dérange pas que je lui en pique un peu. Elle devrait vraiment venir s'installer chez nous. Je ne vois pas comment elle pourra s'en sortir autrement cet hiver.
J'ai tellement l'habitude de sauter le brunch que je l'ai fait sans même y penser, ce qui est un comble. C'est la première fois depuis des siècles que nous n'avons pas à nous rationner, et voilà que je loupe un repas.
Le dîner était décevant : du thon, des haricots verts en boîte, et c'est tout. Alors que je m'attendais plus ou moins à un festin.
Maman et Lisa ont pouffé de rire en voyant ma réaction.
— Nous aurons un vrai dîner de gala mardi, a promis maman. Tiens le coup jusque-là.
Un vrai dîner de gala. Je regrette que nous n'ayons pas attendu pour entasser le bois dans le salon.
Si la nourriture n'était pas terrible, la soirée a été super. Jonny a enfin eu l'occasion de nous raconter à quoi ressemblait le camp. Beaucoup de gamins ne sont pas venus, ce qui voulait dire plus à manger pour ceux qui étaient là, mais aussi beaucoup moins de joueurs potentiels. Et les travaux à la ferme étaient pénibles, surtout au début, mais après il s'est mis à faire gris, les animaux commençaient à sentir la différence, les poules pondaient moins et les vaches produisaient moins de lait.
À ce moment précis, nous avons brusquement changé de sujet de conversation. Papa a raconté des blagues pourries, et c'était trop drôle de voir maman et Lisa lever les yeux au ciel.
Mais je crois que le meilleur moment de la journée a été quand Horton a pardonné à Jonny de l'avoir quitté. Le chat ignorait mon frère depuis son retour. Il s'installait sur les genoux de Matt, de maman ou les miens, parfois même sur ceux de papa. Évidemment, comme Lisa n'en avait pas du tout envie, Horton s'est carrément jeté sur elle.
Ça les a fait hurler de rire, sauf Lisa bien sûr, et Jonny, et moi, je me rappelais comme j'avais été terrorisée à l'idée d'annoncer à Jonny que son cher Horton était parti pour toujours.
Mais ce soir, après le dîner, nous étions assis dans la véranda, avec notre jolie lampe neuve qui brillait ; maman faisait son crochet pendant que Lisa la regardait, et papa, Matt, Jonny et moi jouions au Monopoly par terre, ce qui a provoqué chez Horton une envie irrésistible de mettre le bazar dans le jeu. Une fois établi que le sol était son domaine réservé et que, dans sa grande bonté, il nous autorisait à l'utiliser, il nous a reniflés l'un après l'autre avant de se rouler en boule à côté de Jonny et de réclamer qu'il lui gratte la tête.
Ce que Jonny a fait. Horton s'est mis à ronronner comme un chaton et, pendant un instant merveilleux, tout semblait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
Il se trouve que la définition d'un dîner de gala est la même pour maman et pour nous (papa, Lisa, Mrs Nesbitt et Peter). Je pense que cela semble un peu bizarre à maman d'inviter Peter, mais pas plus que d'avoir Lisa à la maison, après tout ?
Maman m'a demandé d'aller d'un coup de pédale chez Mrs Nesbitt pour la prévenir, puis au cabinet de Peter pour l'inviter. Comme Jonny débite le bois à mesure que papa et Matt abattent les arbres, j'étais la seule disponible.
Mrs Nesbitt boude papa depuis le divorce, mais quand je l'ai conviée à notre soirée, elle a été ravie. « Je ne sors pas souvent ces temps-ci », m'a-t-elle confié, ce qui nous a paru à toutes les deux tellement drôle que nous en avons ri aux larmes.
Ensuite je suis allée en ville, emplissant mes poumons de l'air humide, froid et chargé de cendres. Arrivée devant la porte de Peter, j'ai vu l'écriteau sur la porte : il avait fermé son cabinet et dorénavant on pourrait le trouver à l'hôpital. Il n'y avait là rien de bien surprenant, mais c'est quand même à ce genre de détails que je m'aperçois à quel point le monde a changé. Ces deux derniers jours ont été tellement merveilleux que j'en avais oublié la dure réalité. Même le gris, auquel je n'aurais jamais pensé pouvoir m'habituer, fait partie de ma vie à présent.
Les choses sont différentes quand on sait de quoi demain sera fait.
Je suis allée à l'hôpital. C'était une véritable ruche. On m'a arrêtée dans le hall pour me demander qui je voulais voir. J'ai répondu : « Peter Elliott, c'est personnel. »
L'électricité fonctionnait toujours, et cela faisait tout drôle de voir un bâtiment entier éclairé. On aurait dit un royaume enchanté, ou encore un parc d'attractions. Hôpital-land ! Ça m'a rappelé le parc dont j'ai rêvé il y a quelque temps.
Bien sûr ce n'était pas comme avant. La boutique cadeaux était fermée, de même que le café-salon de thé. C'était un hôpital, rien de plus, mais même ainsi, ça paraissait magique.
L'agent de sécurité (armé, comme j'ai pu le constater) a fait appeler Peter, et on m'a enfin laissée monter au troisième étage, aile est. « Les ascenseurs sont réservés aux malades, aux personnes âgées et aux handicapés », m'a prévenue le garde. Du coup, j'ai pris l'escalier.
Peter avait l'air épuisé, mais plutôt bien à part ça. Je lui ai dit que papa et Lisa étaient chez nous, que Jonny était rentré sain et sauf, que maman organisait un grand dîner à la maison demain et qu'elle comptait sur lui.
Si Peter a trouvé cette invitation un peu bizarre, il ne l'a pas montré. Avec un sourire presque aussi large que celui de Mrs Nesbitt, il a répondu qu'il se joindrait volontiers à nous.
— Je n'ai plus quitté cet endroit depuis près d'une semaine. J'ai bien droit à une soirée de libre.
C'est marrant. D'une certaine manière, je redoute les visites de Peter. Il nous apporte toujours quelque chose, ne serait-ce qu'une boîte d'épinards, mais on a l'impression qu'il ne sait parler de rien d'autre que de maladie et de mort. Pourtant, il avait l'air tellement heureux d'être invité que ça m'a fait plaisir qu'il vienne partager un vrai repas et une bonne soirée avec nous, même si en l'occurrence ce « nous » comprenait sa petite amie ou presque, les enfants et l'ex-mari de sa petite amie, plus la nouvelle épouse, enceinte, de l'ex-mari et, bien sûr, Mrs Nesbitt.
En reprenant le couloir, je suis tombée nez à nez avec Dan. J'étais tellement saisie de le voir que j'en ai eu le souffle coupé. Il avait l'air tout aussi choqué.
— Qu'est-ce que tu fais là ? ai-je demandé avant même qu'il n'ait eu le temps de le faire.
— C'est ma mère. Elle a la fièvre du Nil. Ça va mieux. Mais ces deux semaines ont été rudes.
Je me suis sentie horrible en pensant combien j'avais été en colère contre lui.
Dan m'a prise par le bras.
— J'ai quelque chose à te dire. Où vas-tu ?
— Dans l'escalier. Enfin, je rentre à la maison.
— Je t'accompagne dehors.
Il m'a lâché le bras, ce qui m'a rendue toute triste. Je m'attendais plus ou moins à ce qu'il glisse sa main dans la mienne et qu'on se promène ensemble comme autrefois. Au lieu de quoi, on a marché comme deux étrangers, chacun avec ses propres soucis en tête.
On était devant le parc à vélos, où j'avais attaché ma bicyclette avec deux antivols.
— Miranda, a commencé Dan, puis il s'est arrêté.
— Ça va. Dis ce que tu as à dire.
— Je vais bientôt m'en aller. Sans doute lundi prochain. Je devais partir plus tôt mais je voulais m'assurer que maman se rétablisse avant mon départ.
J'ai pensé à Sammi, à papa et Lisa, et je me suis demandé combien de gens allaient encore sortir de ma vie.
— Tu sais où tu vas ?
Dan a secoué la tête.
— D'abord nous avions pensé partir tous ensemble. Mes parents et moi. En Californie, parce que ma sœur vit là-bas. Jusqu'à ce que nous voyions son nom sur une liste. C'est comme ça que nous l'avons su. Personne ne te prévient. Tu vois juste le nom. Papa ne l'a pas pris trop mal. Ça ne l'a pas rendu dingue ni rien. Mais maman était hystérique et elle continue à ne pas y croire, donc j'ai dit que si je pouvais trouver un moyen, je partirais.
Je voulais lui dire combien j'étais désolée. Je voulais l'embrasser, le prendre dans mes bras, le consoler. Mais à la place je restais plantée là, à l'écouter.
— Selon mon père, c'était une erreur : nous devions continuer à vivre, et ma mère était tellement à côté de ses pompes que ça ne changeait pas grand-chose. Tu ne peux pas t'imaginer, Miranda. Et c'est tant mieux. Je suis content que ça ne t'ait pas encore touchée de trop près. J'espère que ce ne sera jamais le cas. Puis l'été est venu et je n'arrivais pas à prendre de décision. Donc j'ai nagé. Et j'ai pensé pouvoir t'aimer, mais ça ne semblait pas correct vis-à-vis de toi comme de moi. Parce que mon père avait alors décidé que je devais partir. C'était son idée, et il me l'a suggérée avant même d'en parler à maman, parce qu'il savait que ça la rendrait folle. Il a échangé sa voiture contre une moto et il m'a appris à la conduire.
» Je ne voulais pas partir. Je ne voulais pas laisser mes vieux, ni toi. Mais papa a insisté, et je serais parti des semaines plus tôt si maman n'était pas tombée malade. Nous craignions tous deux que, si je m'en allais pendant sa maladie, elle risquait de ne pas s'en remettre. Mais maintenant elle va mieux, et il faut que je m'en aille tant que le temps le permet. Mon père dit que les premières gelées devraient arriver d'ici deux semaines.
— Au mois d'août ?
Dan a hoché la tête.
— D'après lui, on aura de la chance s'il ne gèle pas d'ici septembre. Est-ce que ta famille a songé à partir ?
— Mon père et ma belle-mère, oui. Ils passent quelques jours avec nous puis ils s'en vont pour l'Ouest.
— Je les verrai peut-être en chemin... Miranda, j'aurais aimé que les choses se passent autrement. Je veux que tu saches que bien avant que tout cela n'arrive, tu me plaisais déjà. J'essayais de trouver le courage de t'inviter au bal de la promo.
J'ai pensé à ce qu'une telle invitation aurait signifié pour moi à l'époque.
— J'aurais dit oui. Peut-être qu'un jour ça pourra se faire, qui sait ?
— Le rendez-vous est pris — si je suis là. J'essaierai de t'écrire, mais je préfère ne rien te promettre. Miranda, je ne t'oublierai jamais. Quoi qu'il arrive, je me souviendrai de toi et de l'étang de Miller.
Nous nous sommes embrassés. C'est drôle tout ce que ce baiser pouvait représenter. Je pourrais bien ne jamais embrasser d'autre garçon, en tout cas jamais de la façon dont j'ai embrassé Dan.
— Je dois y retourner, a dit Dan. Maman risquerait de s'inquiéter.
— Bonne chance. Je te souhaite le meilleur.
Nous nous sommes encore embrassés, mais cette fois ce n'était qu'un bref baiser d'adieu. Dan est rentré dans l'hôpital tandis que je le regardais s'en aller.
Je sais bien que pour lui, j'ai de la chance de ne pas avoir été « touchée de trop près » par les événements. Et je sais que penser autrement serait de l'autoapitoiement. Mais parfois je me demande si l'horrible boulet de canon qui vous écrase à l'annonce de la mort de quelqu'un qu'on aime est plus terrible que l'usure du quotidien.
En fait, je sais bien que c'est pire. Parce que Dan a perdu sa sœur, et que moi je n'ai perdu personne de proche, du moins de façon définitive. Et Dan subit autant que moi le quotidien, sauf que sa mère, en plus, est passée à deux doigts de la mort.
Pour être honnête, je sais la chance que j'ai.
Mais j'ai le cœur brisé parce qu'il ne m'a pas invitée au bal de la promo plus tôt, au mois de mai. J'aurais pu au moins avoir ça. Et maintenant je ne l'aurai jamais, et je n'obtiendrai jamais quelque chose d'aussi merveilleux.
2 août
Quel festin !
Maman et Lisa ont fait du pain (utilisant tout le reste de levure). Il était bien sûr hors de question d'avoir une vraie salade mixte (c'est fou comme certaines choses peuvent vous manquer ! Qui aurait cru que j'aurais la nostalgie de la laitue ?), maman a pris une boîte de haricots verts et une de haricots rouges, les a mélangés avec de l'huile d'olive et du vinaigre, et a baptisé le tout « salade aux deux haricots ». Notre plat principal était des spaghettis bolognaise. Bien sûr, la viande venait d'une conserve mais je n'arrive plus à me rappeler la dernière fois que j'ai mangé du steak, sinon dans mes rêves. En guise de légumes, nous avions des champignons.
Peter a apporté deux bouteilles de vin, une de blanc et une de rouge, puisqu'il ne savait pas ce que nous allions manger. Maman a laissé Jonny en prendre un verre — après tout, si c'est la fin du monde, pourquoi pas, hein ?
Mrs Nesbitt avait fait le dessert : elle avait préparé des fonds de meringue à partir de blancs d'œufs en poudre et les avait remplis de crème dessert au chocolat.
Nous avons mangé dans la véranda. On avait installé la table pliante en fer, recouverte d'une jolie nappe, et apporté les chaises de la salle à manger. Maman a allumé des bougies et on a fait du feu dans le poêle à bois.
Autrefois maman s'enorgueillissait de ses talents de cuisinière. Elle essayait toujours de nouvelles recettes. Dans le monde d'alors, elle n'aurait jamais servi de la sauce bolognaise en conserve ou des champignons en boîte. Mais ce soir elle était tellement fière et contente ! Et nous avons fait tout autant de compliments à Mrs Nesbitt pour son dessert.
Etait-ce l'odeur du pain sortant du four, était-ce le vin, ou le simple fait d'avoir assez à manger ? En tout cas, on a tous passé un moment génial. Je m'étais demandé ce que ça ferait d'avoir papa et Peter sous le même toit, mais ils ont géré la situation aussi bien que maman et Lisa, comme s'ils étaient de vieux amis et que dîner ensemble était la chose la plus normale qui soit.
On parlait tous. On plaisantait. On s'amusait.
Après dîner, Matt et moi avons débarrassé. Comme personne ne voulait que la soirée se termine, nous sommes restés autour de la table.
Je ne me rappelle pas de quoi nous parlions (pas d'un sujet très grave, même Peter avait gardé ses histoires macabres pour lui), quand Jonny a demandé :
— Est-ce qu'on va tous mourir ?
— Allons, a rétorqué maman. Ma cuisine n'est pas mauvaise à ce point.
— Je ne rigole pas. Est-ce qu'on va tous mourir ?
Maman et papa ont échangé un regard.
— Pas dans l'avenir immédiat, a dit Matt. Nous avons de la nourriture et du fioul. Ça va aller pour nous.
— Mais qu'est-ce qui va se passer quand il n'y aura plus de nourriture ? a insisté Jonny.
— Excusez-moi, a dit Lisa. Je n'aime pas qu'on parle de ça.
Elle s'est levée et a quitté la pièce. Papa avait l'air désemparé. Il a fini par se lever pour la suivre.
Nous nous sommes retrouvés entre nous, le « nous » que nous composons depuis deux mois.
— Jon, tu as droit à une réponse honnête, est intervenu Peter. Nous ne savons pas ce qui va se passer. Peut-être que le gouvernement va nous fournir de quoi manger. Il doit bien y avoir des provisions quelque part. Tout ce que nous pouvons faire, c'est vivre au jour le jour et garder espoir.
— Je ne survivrai pas à tout ça, je le sais, a dit Mrs Nesbitt. Mais je suis une vieille femme, Jonny. Tu es un jeune garçon, fort et en bonne santé.
— Mais si ça empire ? ai-je demandé.
Je ne sais pas ce qui m'a pris, peut-être parce qu'on venait de dire à Jonny qu'il allait vivre, et que personne ne s'était donné la peine de me le dire à moi.
— Et s'il y a quelque chose d'encore plus terrible que les volcans ? Et si la Terre survit mais pas l'humanité ? Ça pourrait arriver, non ? Et pas dans un million d'années, non plus. Ça pourrait arriver maintenant ou l'année prochaine ou dans cinq ans. Qu'est-ce qui va se passer, alors ?
— Quand j'étais petit, j'étais fasciné par les dinosaures, a repris Peter. Comme beaucoup de gosses. Je lisais tout ce qui s'y rapportait, j'apprenais leurs noms latins, je pouvais en reconnaître un simplement à partir de son squelette. Je n'en revenais pas que ces animaux hallucinants aient pu disparaître. Mais bien sûr ils n'ont pas disparu. Ils ont évolué et se sont transformés en oiseaux. La vie telle que nous la connaissons aujourd'hui pourrait bien cesser, elle continuerait d'une autre manière. La vie perdure. C'est mon intime conviction.
— Les insectes ont survécu à tout, a ajouté Matt. Ils survivront à ça.
— Génial, ai-je ironisé. Les cafards vont évoluer ? Les moustiques auront la taille des aigles ?
— A moins que ce ne soient les papillons, a dit Matt. Imagine des papillons d'un mètre d'envergure, Miranda. Imagine un monde resplendissant de papillons multicolores.
— Je mise tout sur les moustiques, a lancé Mrs Nesbitt, et nous avons été tellement sciés par son cynisme que nous avons tous éclaté de rire.
A ce moment, Horton s'est réveillé en sursaut et a bondi des genoux de Jonny, ce qui nous a fait rire encore plus fort.
Alors papa est revenu, mais pas Lisa.
3 août
Papa et Matt ont travaillé toute la journée. Quand papa est rentré pour le dîner, il nous a dit que lui et Lisa partiraient demain aux aurores. Je sais que ça n'aurait pas dû me surprendre, mais ça m'a quand même fait mal quand il l'a annoncé.
Lisa est restée clouée au lit toute la journée. Maman est allée la voir deux ou trois fois pour s'assurer qu'elle allait bien, mais ça n'a pas eu l'air de changer grand-chose.
— Elle se fait du souci pour ses parents, m'a expliqué maman. Et bien sûr pour le bébé. Elle veut se poser dès que possible, et plus elle attendra, plus il lui sera pénible de voyager.
Je me demande si Lisa serait aussi pressée de partir si Jonny n'avait pas posé des questions sur la fin du monde.
Papa a fait des sandwiches au thon pour lui et Lisa, et il les lui a apportés dans leur chambre. Pendant un moment j'ai cru qu'il n'allait plus en sortir avant de quitter la maison demain matin, ce qui ne me laisserait aucune chance de le revoir. Mais au bout d'une heure environ, il nous a rejoints dans la véranda.
— Ça te dirait de t'asseoir un moment dehors avec moi, Miranda ? m'a-t-il proposé.
— Bien sûr, ai-je répondu, et nous sommes sortis.
— Nous n'avons même pas eu l'occasion de parler tous les deux, a commencé papa une fois que nous étions assis sur la balançoire. J'ai passé beaucoup de temps avec Matt et Jonny, mais pas tellement avec toi.
— C'est vrai. Mais le plus important était de couper du bois.
— Le plus important, c'est toi et tes frères. Miranda, je veux que tu saches combien je suis fier de toi.
— Fier de moi ? Pourquoi ?
— Pour un million de raisons. Parce que tu es drôle, intelligente et belle. Parce que tu t'es mise à la natation quand tu ne pouvais plus patiner. Parce que tu fais tout pour faciliter la vie à ta mère. Parce que tu ne te plains jamais. Tu es une fille dont tout père pourrait être fier. Je savais que te demander d'être la marraine du bébé était une bonne idée, et ces jours derniers je me suis rendu compte à quel point on pouvait compter sur toi. Je suis tellement content d'être ton père. Je t'aime tant.
— Je t'aime, moi aussi. Et tout ira bien pour le bébé. Tout va bien se passer. Je le sais.
— Je le sais, aussi, a dit papa, et il m'a serrée dans ses bras.
Puis nous nous sommes tus, parce que nous savions tous les deux que tout ce que nous pourrions ajouter gâcherait ce moment.
Enfin papa s'est levé et il est retourné auprès de Lisa. Je suis restée assise sur la balançoire, à penser aux bébés et aux papillons et à ce que serait le reste de ma vie. À la fin, je suis rentrée et j'ai écouté le silence.
4 août
Papa et Lisa sont partis à 6 heures ce matin.
Nous nous sommes levés en même temps qu'eux pour prendre le petit déjeuner ensemble. Maman a trouvé un bocal de confiture de fraises et a servi le reste du pain. On a eu des pêches au sirop et du jus d'orange en poudre. Papa et maman ont pris du café, Lisa du thé.
Papa nous a embrassés en nous serrant fort dans ses bras. J'ai dû fournir un terrible effort pour m'arracher à lui. Nous savions tous que nous pouvions ne pas nous revoir.
Papa a promis d'écrire dès qu'il en aurait l'occasion, et il nous a assuré qu'il nous donnerait des nouvelles de mamie.
Quand ils sont montés dans la voiture, Lisa s'est mise à la place du conducteur. Sans doute parce que papa pleurait si fort qu'il se sentait incapable de conduire.